Le labyrinthe est un inextricable entrelacs de chemins qui ne mènent nulle part, qui reviennent sur eux et qui se confondent. C’est une prison qui capte les corps et les consciences, un piège qui retient la jeunesse entre ses serres, et la condamne à n’être qu’une vaine attente de la mort.
Des labyrinthes, il y en a beaucoup dans les têtes d’aujourd’hui, mais il y en eut également à travers l’Histoire. Le plus fameux est sans doute celui de Crête, bâti par Dédale, architecte au génie si grand qu’il s’enferma lui-même ! Son fils Icare, né dans les rets toujours semblables de la répétition de l’identique, n’avait pour seul souhait que de sortir de la prison, quelqu’en fût le prix. Quel adolescent n’a pas rêvé de s’en « sortir par le haut », en survolant le champ où les autres ne font que ramper ? On sait ce qu’il advint de son juvénile désir d’émancipation : Mal préparé à affronter l’extérieur, et grisé par son envol, il se brûla les ailes au moment même où il pensait toucher son rêve de liberté.
Mais bien d’autres personnages peuplent cette histoire tortueuse et multiforme et chacun se place dans un rapport particulier avec le mythe dans son ensemble. Ariane, qui donne le fil à Thésée contre une promesse de mariage, trahissant au passage et son père Minos, et son demi-frère, le Minotaure. Mal récompensée de son crime, elle sera abandonnée de son séducteur sur des rives étrangères où elle aura finalement la fortune d’être l’amante du dieu Bacchus en personne. Thésée lui-même, qui se fait une spécialité de tuer tout ce qui est monstrueux et d’en débarrasser la surface de la terre, genre de super-héros version antique, dont la passion pour la lutte ne le dispute qu’à son appétit inextinguible pour les femmes. Dédale, l’architecte, qui avant de construire le labyrinthe pour Minos son roi, avait accepté de construire une vache en bois pour Pasiphaé, sa reine. Celle-ci, égarée par Poséidon, avait conçu une passion amoureuse pour un taureau, qui de son côté n’aurait sans doute pas répondu à ses avances pressantes si elle ne se fût mise dans la séduisante peau d’une vache. Dédale, architecte du problème, tout autant que de sa solution, symptôme du mal et volonté d’oblitération de ce même mal : Il fallait bien effectivement dissimuler le fruit monstrueux de ces amours contre nature, ce à quoi était destiné le labyrinthe.
Histoire multiforme et complexe, comme on le voit, qui dès l’antiquité connait plusieurs versions. C’est d’ailleurs le propre de tout mythe, d’être un ensemble de variantes, comme l’a souligné Claude Lévi-Strauss. Il n’existe en effet pas de mythe originel qui se cacherait derrière ces variantes, qu’elles auraient déformé et travesti, mais ces variantes constituent bien plutôt le mythe lui-même. Cela autorise aussi, aux époques ultérieures, des élaborations additionnelles autour de cette source déjà multiple.
Jorge-Luis Borges, écrivain argentin a été l’un de ceux à s’être le plus penché sur cette histoire pour en faire saillir tous les aspects peu éclairés. Dans La Demeure d’Astérion issu du recueil L’Aleph (1949), il s’intéresse à la figure du Minotaure. Astérion puisque c’est son nom, puisque tout monstrueux qu’il soit, sa mère lui a donné un nom, comme une mère humaine à n’importe quel fils, Astérion donc n’est plus un être monstrueux et assoiffé de sang humain. C’est un enfant innocent, égaré dans la vie et ne comprenant pas pourquoi tout le monde le rejette et lui lance des pierres. A-t-il demandé à venir au monde et à habiter le labyrinthe ? Pourquoi lorsqu’il lui arrive de sortir voit-il des êtres qui se ressemblent tous, au visage figé, comme dans les transports en commun de nos grandes villes ? Le Minotaure est-il donc un monstre, ou un bouc émissaire commode, à propos duquel tout le monde s’est par avance et une fois pour toute conditionné à reconnaître l’essence du monstrueux ? Thésée : héros du genre humain ou vil exécutant des basses œuvres, pour des intérêts qui se cachent derrière lui et qui ont soin de ne pas s’avouer ? Et Ariane… prostituée qui finira alcoolique ?
“There are more things in heaven and earth, Horatio,
Than are dreamt of in your philosophy.”
Cette célèbre réplique issue d’Hamlet (1606), Borges la reprend à Shakespeare pour en faire le titre d’une autre de ses nouvelles inspirée du labyrinthe. There are more things, que l’on trouve dans le recueil Le Livre de Sable (1975) met en scène un personnage-narrateur qui est cette fois-ci dans la peau de Thésée et qui ne sait pas par avance qu’il s’engage dans un labyrinthe et qu’il va au devant d’un monstre. Le tout baigne dans une atmosphère fantastique et irréelle qui laisse planer un certain malaise. La frayeur n’est pas loin, l’innommable est envisagé à la fin de la nouvelle, qui est aussi son point culminant.
La Bibliothèque de Babel, issue du recueil Fictions (1944) atteint le degré de complexité maximale dans cette thématique. « L’univers (que certains appellent la bibliothèque) se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales… » Ainsi commence ce voyage vertigineux dans cette exégèse biblico-mythologique qui pointe la vanité de la vie, l’inanité du langage et le mirage du sens. Le labyrinthe est ici physiquement infini, mais aussi et de façon plus totalitaire encore, il est la structure même du langage. Il serait vain de vouloir échapper à la prison en acceptant les règles de la prison, tous les mots ont déjà été inventés, même ceux qui n’ont encore jamais été prononcés, et se taire ne change rien à l’affaire. Aspiration du vide et suffocation de la réclusion. Il n’y a pas de sortie.
Respirons un peu, ou plus exactement retenons notre souffle, mais au moins changeons de domaine. Le thème du labyrinthe a été également bien exploité au cinéma. Au lieu de vous diriger vers une liste exhaustive de films qui de près ou de loin ont rapport à ce thème, je me contenterai de ne vous en signaler qu’un seul. The Shining (1979) de l’anglais Stanley Kubrick est un classique à tout point de vue. Perfection de l’image, exactitude du scénario, interprètes impeccables, tous au service d’un malaise qui s’en va grandissant, du grand art cinématographique, à voir.
Voilà en peu de mots quelques idées sur ce thème. Le choix était ici, plus que jamais difficile à faire, tant la matière est abondante, mais ceux qui seront intéressés, les explorateurs, sauront d’eux-mêmes trouver leur chemin dans cet écheveau inextricable de routes qui ne mènent nulle part. Aborder le labyrinthe, c’est déjà y entrer.